Qu’est-ce qui mijote dans les fourneaux de l’avenir ? Le Figaro (n°1212) s’est penché sur la question avec trois chefs du moment :
- Anne Sophie Pic, la femme. A la tête de la célèbre brigade de la Maison Pic, elle a obtenu en février 2007 sa troisième étoile au Guide Rouge.
- Thierry Marx, le mage français de la cuisine moléculaire. A la tête du Château Cordeillan – Bages, ce chef humanitaire propose de belles innovations en faisant appel à l’audace des des sens.
- Laurence Salomon, la star du bio et du bon. Naturopathe et passionnée par l’art culinaire, elle a crée il y a 7 ans le restaurant Nature & Saveurs à Annecy.
Extraits :
Quelle sera la cuisine du futur selon vous ?
Anne Sophie Pic : Je ne crois pas à l’avènement des gélules en guise de repas. Au contraire, nous allons de plus en plus cuisiner des produits biologiques de très bonne qualité. Il s’agit de retrouver des références et la quintessence des saveurs, sans tricher. La cuisine du futur se doit d’être simple et exigeante. Les progrès technologiques devraient servir à proposer des textures différentes, sans jamais dénaturer le goût d’un produit. C’est tout sauf de l’esbroufe !
Thierry Marx : Nous allons jouer avec les températures et les textures, qui seront moins solides mais plus émulsionnées et mousseuses. Cette évolution ne s’est pas arrêtée depuis les années soixante-dix, et elle va s’accentuer. On le constate par exemple avec le pain, dont la croûte s’est attendrie. De la même façon, je suis convaincu que les quantités vont diminuer au profit de petites bouchées avec des goûts très puissants. Il y a un réel besoin de reconnaissance immédiate des produits.
Laurence Salomon : Nous prenons conscience que le stress, l’environnement et l’alimentation ont un impact sur notre santé. Les aliments doivent être en adéquation avec notre physiologie et la respecter. A l’avenir, nous allons donc mieux sélectionner les ingrédients en évitant ceux qui ont été dénaturés à outrance par l’industrie agro-alimentaire. Il ne s’agit pas de faire une cuisine bio avec des œillères, mais de privilégier les produits naturels aux saveurs originelles.
Comment mangerons-nous demain ?
Anne Sophie Pic : Mieux que par le passé. Aujourd’hui, les mères éveillent leurs enfants au goût. La plaisir de manger des bonnes choses se cultive dès le plus jeune âge et procure de grandes émotions. Je m’en rends compte avec mon petit garçon de deux ans. Demain, plus que jamais, le repas sera un moment convivial que nous souhaiterons partager ensemble. C’est le dernier espace de complicité de nos sociétés.
Thierry Marx : Les lieux de restauration tels que nous les connaissons depuis le XVIIIème siècle vont changer. Nous allons être plus proches et plus ouverts sur la cuisine. A la maison, le repas sera lui aussi en prise directe avec ce lieu d’élaboration des mets. L’influence grandissante de l’Asie et de l’Inde va nous imposer de nouveaux codes. Par exemple, nous allons peut être assister à la fin du « piquer-couper » pour découvrir une gestuelle différente, plus sensuelle, en utilisant nos mains ou des baguettes. Nos modes de vie vont aussi rendre davantage moribond le déjeuner, au cours duquel nous préférerons pratiquer d’autres activités. C’est un repas que nous négligeons déjà. Il va probablement disparaître. En revanche, le dîner sera un moment plus sacralisé qu’il ne l’est actuellement. Il sera un espace de retrouvailles, de communication et de partage. C’est l’essence même de la cuisine d’ailleurs : un acte d’amour offert aux autres.
Laurence Salomon : Deux courants s’opposent aujourd’hui au niveau de l’assiette : d’un côté, il y a l’industrie agro-alimentaire ; de l’autre, il y a ceux qui y résistent en recherchant plus d’authenticité dans des produits biologiques ou fermiers de qualité, sans pour autant virer dans l’orthorexie en devenant des obsédés du manger-sain ! Le plaisir de se régaler prévaut.
Quelles seront les enjeux de la cuisine gastronomique de demain ?
Anne Sophie Pic : La recherche de la qualité doit être une attention de tous les instants. Nos ressources s’amenuisent. Il est aujourd’hui très difficile de trouver certains produits sauvages, comme le poisson. Je me refuse à travailler des produits d’élevage dans mes cuisines, mais peut être qu’un jour nous serons malheureusement contraints de franchir le cap… La production devra alors être d’une grande qualité, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.
Thierry Marx : Continuer à faire du beau et bon. Face à l’essor de l’Inde et de l’Asie, nous devons continuer à proposer une cuisine novatrice. La vieille Europe gardera toujours quelques établissements sanctuaires qui seront comme les joyaux d’une couronne. Il nous faut entretenir ce savoir-faire qui fait notre réputation et permet à nos grandes maisons d’être des modèles dans le monde.
Laurence Salomon : Les chefs doivent montrer l’exemple en proposant une cuisine raffinée, bonne, sain et digeste.
A quel futur rêvez-vous de façon personnelle ?
Anne Sophie Pic : La réussite professionnelle que nous souhaitons tous ne me semblent pas réalisable s’il n’y a pas en amont un équilibre personnel. Mon futur, je le rêve entourée des miens, en bonne santé et heureux !
Thierry Marx : Je rêve d’un futur de paix et d’harmonie pour tous.
Laurence Salomon : J’aimerai ne pas être réduite à l’étiquette bio, car je propose une gastronomie du bien-être mais aussi de plaisir. Ma formation de naturopathe et mon expérience de chef m’ont permis d’acquérir un savoir-faire différent que j’aimerai diffuser auprès d’autres professionnels. J’utilise des ingrédients qu’ils ne connaissent pas toujours, et j’ai surtout appris à les accorder pour qu’ils respectent notre corps.
A cette occasion, chacun a proposé aussi une recette :
Anne Sophie Pic : Œufs moelleux mollets comme un ketchup. Son restaurant : Maison Pic, 285 avenie Victor Hugo, Valence, téléphone 04 75 44 15 32.
Thierry Marx : Houmous nouvelle tendance. Son restaurant : Château Cordeillan-Bages, Pauillac, téléphone 05 56 59 24 24
Laurence Salomon : Mille feuille de tofu aux épinards, algue dulce et saumon sauvage. Son restaurant : Nature et Saveurs, place des Cordeliers, Annecy, téléphone 04 50 45 82 29.
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