Les restaurants historiques possèdent une âme que l’on ressent dès la porte d’entrée franchie. C’est une sensation merveilleuse de découvrir un restaurant resté dans le décor de son époque, avec des banquettes en velours rouge, des plafonds et murs peints encadrés d’or, des miroirs, comme dans la galerie des glaces à Versailles ! J’étais placé à la table où monsieur Curnonsky (Maurice Edmond Sailland de son vrai nom), le « Prince des gastronomes », et madame Colette de l’académie du Goncourt avaient leurs habitudes. Est-ce une petite attention de la part du maître d’hôtel pour inaugurer mon premier déjeuner dans ce lieu unique ? De mon siège, j’avais une vue panoramique sur toute la salle, et je ne perdais pas une miette du spectacle du service feutré et élégant assuré par les maîtres d’hôtels et les serveurs, tous habillés d’un costume noir et d’une chemise blanche. Le fait d’être assis à une place où d’autres personnages illustres m’avaient précédé m’oblige instinctivement à un maintien élégant ! J’étais dans l’un des plus anciens restaurant de Paris. Ouvert en 1784 (soit il y a 226 ans), c’était à l’origine un café très chic ouvert par le Sieur Aubertot, limonadier de son état. L’enseigne « Café de Chartres » figure encore aujourd’hui sur la façade du restaurant. Il était de bon ton de s’y montrer. On parlait surtout politique. En effet, à cette période, c’était au Palais Royale que fermentaient toutes les idées qui menèrent la France à la Révolution de 1789 ! Le Café de Chartres devint un luxueux restaurant qui était le quartier général des ultras après Thermidor. Il prit son appellation actuelle sous la Restauration avec l’arrivée du chef Jean Véfour. Le développement des restaurants parisiens datent de cette époque. Les cuisiniers des nobles, restés sans emploi après la fuite de leurs employeurs, décidèrent d’ouvrir leur propres établissements pour mettre à disposition leur savoir faire au plus grands nombre, du moins ceux qui peuvent payer ! A cette époque, une nouvelle clientèle provinciale faisait son apparition. Ces derniers n’avaient ni famille pour les accueillir ou pour les restaurer ! Ce qui faisait l’aubaine de ces nouveaux restaurateurs. En 1789, Paris comptait une centaine de restaurants fréquentés par la bonne société, tous regroupés autour du Palais Royale.
Cette époque avait vu aussi la naissance des critiques gastronomes. L’un des plus célèbres, Grimod de la Reynière, écrit : « L’ancien Café de Chartres est maintenant l’un des restaurants les plus achalandés de Paris. Nulle part, on y apprête mieux un sauté, une fricassée de poulet à la marengo, une mayonnaise de volaille ». Depuis, le destin du Grand Véfour est intiment lié à l’histoire de France. Depuis plus de 200 ans ; c’est le haut lieu gastronomique de la vie politique, artistique et littéraire de Paris. Avant moi, Bonaparte et Joséphine, Victor Hugo, Lamartine, Saint Beuve, la belle Otéro, Colette, Jean Cocteau, Sacha Guitry, Curnonsky, Jean Paul Sartre, Simone de Beauvoir, François Mitterrand, Jack Lang… y déjeunaient !
Après Jean Véfour, le chef Raymond Oliver y régnait 36 ans. Depuis, c’est le chef Guy Martin qui préside à sa destinée. J’ai adoré sa cuisine aux saveurs sublimées. Voici mon (double) menu de dégustation.
Amuses bouches de tartare de noix de saint Jacques, crudités radis et haricots verts.
C’est beau, c’est frais. Le tartare, discrètement assaisonnée, est servie avec une sauce aux agrumes et un jus de persil. Délicieux !
Foie gras de canard, chapelure grillée au cumin, Granny Smith aux épices douces.
Le foie gras est servi à la bonne température. Il est juste fondant en bouche. La saveur du cumin, dans la chapelure, est dosée discrètement mais c’est suffisant. Trois billes de pomme granny smith et deux billes de jus de persil obtenues par sphérification dans une solution d’alginate habillent une ligne de « chutney » jaune or (à base de carotte et mangue ?) aux épices douces. L’ensemble en bouche est très harmonieux. L’acidité du granny smith amène du peps et du croquant !
Ecrevisses pattes rouges au lait de coco, parfumé au galanga, émulsion de coriandre.
Le fumet d’écrevisse est détendu avec du lait de coco, enrichie d’une pâte de galanga, puis lié avec une crème de mascarpone. Le confort de la dégustation est total : les écrevisses sont décortiquées. Une émulsion de coriandre ajoute une note de fraîcheur. Une bouchée vous transporte d’emblée à la cour de Siam !
Lotte cuite meunière, fine purée de racine de persil, trompette de la mort et gingembre.
La lotte, même si elle est bien grillée sur le dessus, est servie nacrée, posée sous une fine purée. Les trompettes de la mort, servies sous forme de deux cubes gélifiés rappellent un goût de cuisine chinoise à base de sauce de soja et de gingembre. Une émulsion à base de lait de soja à la couleur émeraude complète la ligne très graphique du plat. Des petits champignons pieds bleus sautés à la ciboulette sont servis à part.
Poitrine de poulette de Racan, peau croustillante, potimarron et pieds bleus
La chair de la poulette de Racan, d’une couleur blanche, est très fondante et goûteuse, très proche de la poularde. Elle est servie avec une purée de potimarron soyeuse (sûrement repassée au moins deux fois au tamis !). C’était comme une caresse sur la langue. Sur la gauche de l’assiette, trois petites pommes de terres tournées et croustillantes, avec deux pieds bleus sont posés sur une purée d’herbes aromatiques. Il est servi à part une autre garniture composée d’un cercle de gelée de végétaux (visuellement, je pensais qu’il s’agissait d’une rondelle de courgette !), de brunoises de carotte, d’une rondelle de carotte, et d’une mousse de lait de soja.
Quenelles de pomme de terre
Pour nos deux plats principaux, en plus de nos garnitures, il nous est proposé aussi deux quenelles de purées de pomme de terre, à se damner !
La table des fromages fermiers de France et de Savoie
Le plateau de fromages est un vrai tour de France. Les fromages sont affinés et livrés par un fromager de Thonon les Bains. J’ai goûté au Beaufort, comté et tomme. Le comté affiné de 10 ans, est tout simplement merveilleux. Comme les deux autres. Durant tout le déjeuner, des petits pains tièdes et croustillants nous sont proposés en deux versions : pain nature, pain aux céréales. De même, nous avons pu choisir entre le beurre nature et le beurre demi-sel.
Les pré-desserts
La mousse de goyave, mangue / Les mignardises : tarte au citron, petite religieuse, tarte au chocolat, macaron / Les pâtes de fruits sont tous exquis !
Palets noisette et chocolat au lait, glace au caramel brun et prise de sel de Guérande.
Ce dessert à base de chocolat, tout en contraste et texture est une péché de gourmandise. Le glaçage au chocolat au lait du palet de noisette est d’une grande maîtrise technique. La glace au caramel brun est servi à la bonne température : moelleuse. Même si le goût du chocolat et du caramel ne nous laisse aucune surprise, il y a un vrai supplément d’âme dans cette création !
Coings fondants sur un biscuit aux noix de macadamia, fromage blanc rehaussé aux zestes de citron.
Ce dessert est un vrai tableau, un enchantement ! Le biscuit moelleux à base de noix de macadamia et de fromage blanc est surmonté d’un sorbet parfumé au citron. C’est un vrai feu d’artifice gustatif en bouche. Sur le côté droit de l’assiette, un fin ruban de pâte de fruit enserre des bâtonnets de pommes, surmontés d’une mousse de lait aérienne !
Gâteau de Savoie
Une délicieuse tranche de gâteau de Savoie clôture ce déjeuner. Ce gâteau m’est très familier durant mes années d’études d’hôtellerie au bord du lac de Genève. Pour moi, il représente une histoire de la Savoie et fait référence aux origines du chef Guy Martin qui a fêté dernièrement avec ses pairs, le 150ème anniversaire du rattachement de la Savoie à la France.
De l’eau minéral de Thonon les Bains, et du Pomerol, château Belgrave 2005 accompagnent les mets.
J’ai vécu un vrai moment de culture immatériel de l’humanité, un moment voluptueux, grâce à ce repas gastronomique des Français, exécuté par l’un des plus grands chefs contemporain !
Pour plus de renseignements : www.grand-vefour.com
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