lundi 13 août 2012

Les séductions du palais, musée quai Branly


Cette magnifique exposition au musée quai Branly me donne le vertige devant tant de beauté et de perfection sur les arts de la table chinoise. A part la vaisselle en bronze qui datent d’environ 1700-221 avant JC, comment ces poteries rouges et noires du néolithique, ou ces porcelaines si délicates, si fragiles, arrivent jusqu’à nous intacts, épargnés du ravage du temps ? Comme l’indique le sous-titre de l’exposition, cette vaisselle en poterie néolithique, bientôt métamorphosée en bronze sous les trois premières dynasties royales (2e et 1er millénaires avant notre ère), convertie en laque (à partir du 3e siècle av. J.-C.), puis en vaisselle d’or et d’argent sur les tables des palais des Tang (618-907) avant que ne triomphe définitivement la délicate porcelaine sous les Song (960-1278), nous évoque l’art de « Cuisiner et de manger en Chine ». Il faut avoir une imagination débordante pour se projeter du contenu, nécessairement raffiné, de cette vaisselle. Six recettes exposés dans le parcours du l’exposition nous y aident :
Fondue de faisan Zhigeng. Cette recette est inventée par Pengzu, père de la cuisine chinoise, et destiné au souverain Yao (vers 3000 avant JC). Il s’agit d’un faisan braisé dans une marmite en terre cuite, dans un bouillon de porc, de gingembre et de ciboule. Après sa cuisson, il est entièrement désossé, remis dans son bouillon. Il est ensuite enrichi de millet, de sel, de vin de céréale, et de baies de goji. Au moment du service, il est assaisonné avec quelques gouttes d’huile de graines de thé.
Patte d’ours, très apprécié par le roi Zhou (vers 1105-1045 avant JC) de la dynastie Shang. Il s’agit d’une patte d’ours enduite de miel, avec une première cuisson à l’eau pour une pré-cuisson. Puis une deuxième cuisson au bouillon de poule avec du gingembre et du vin de céréale. A travers cette recette, on découvre aussi l’art du faisandage. La patte d’ours ne rend toutes ses qualités gastronomiques qu’après avoir rancie une à deux années.
Chien braisé dans un bouillon de tortue de la dynastie des Han occidentaux (206 avant JC- 220 après JC), très apprécié de l’empereur Gaozu. Cette recette aiguise particulièrement l’imagination des visiteurs. Les viandes de chien et de tortue sont mijotées dans un bouillon à base de sel, de sucre, de vin de céréales, d’anis étoilé, de poivre de Sichuan, de ciboule, de gingembre. Elles subissent une seconde cuisson à la vapeur. Les viandes sont désossées et effilochées avant d’être servies avec de l’huile de sésame. Cette technique de mijotage est encore en vigueur actuellement dans la cuisine chinoise, mais appliquée à la viande de porc et de bœuf.
Oie farcie dans l’agneau de la dynastie des Tang (618-907) et très appréciée par l’impératrice Wu Zetian 武则天. Femme d'humble extraction, l'impératrice Wu Zetian arrive au sommet par le charme, la ruse et le crime. À la cour de Chang'an (l'actuelle Xi'an), elle assume le pouvoir suprême d'une main de fer pendant un demi-siècle, de 655 à 705, d'abord dans l'ombre de son mari puis de son fils, et enfin en son nom propre. Cette recette est d’une complexité certaine. L’oie est farcie avec un mélange de riz gluant, enrichi de morceaux de viande de porc avec une marinade composée de sucre, de sel, de sauce de soja, de vin de céréale, de vinaigre, de poivre de Sichuan, de poivre et de peau de mandarine séchée. Ces mêmes oies farcies et bridées sont enfermées dans le ventre d’un agneau, pour être rôtis durant 4 à 5 heures. Au moment du service, seules les oies farcies sont dégustées. L’agneau rôti est jeté.
Bouillon de poisson Songsao, de la dynastie des Song du sud (1127-1279), très apprécié par l’empereur Gaozong. Il s’agit d’un poisson mandarin, levé en filet, sans arrêt, cuit dans un premier temps 6 minutes à la vapeur avec de la ciboule, du gingembre, de vin de céréales. La chair cuite est ensuite sauté avec du jambon, des pousses de bambou, des champignons shiitake, assaisonnée avec de la sauce de soja, du vinaigre, du sel. La sauce est liée avec la fécule de pomme de terre.
Dragon et Phénix sous le signe du bonheur, de la dynastie des Qing (1644-1911) issus de l’un des banquets impériaux mandchou que j’évoque dans mon livre « A la table de l’empereur de Chine » aux éditions Philippe Picquier . Il s’agit d’une recette à base de salicoques que je vous laisse découvrir dans le parcours de l’exposition.
Une chose est sûre, les principes d’assaisonnements, les techniques de découpe et de cuisson évoquées dans ces six recettes sont toujours appliquées de nos jours.
Sur la manière de consommer les mets, c’est sous les Tang, que les chinois délaissent le mode de consommation assis sur les nattes, devant les plateaux individuels pour s’asseoir autour d’un table garnie de vaisselle et de mets présentés de manière esthétique. Comme pour la Renaissance en France, une vaisselle d’apparat entre en scène, avec des pièces d’orfèvreries très travaillées, fort luxueux. Seules les élites pouvaient se le permettre. Sur l’usage des baguettes, une invention chinoise, même si elles étaient utilisées déjà en cuisine sous les Shang, elles passaient à table que sous la dynastie des Han, à partir du IIème siècle avant JC avec l’apparition de la technique de la friture. En effet, manger avec les doigts n’était plus aussi commode, car les mets devenaient gras ! Les alcools de céréales étaient largement consommés durant les banquets, dès la dynastie des Zhou (1045-221 avant JC).
La verseuse en Yi en bronze de la dynastie des Zhou ne vous rappelle-t-elle pas la forme de notre saucière ? 
Vous découvrirez aussi peut être le premier grill du monde, qui date de la dynastie de Han occidentaux (206 avant JC, 9 après JC). La bonne société Han aimait savourer des grillades lors de dégustations d’alcool. Avec cette grille rectangulaire dotée de rebords, on faisait griller les côtelettes ou des brochettes. Une grille intérieure et une ouverture à bord ondulé sur le côté permettent de retirer les cendres ! Il y a une modernité dans la forme et le design de cet art de la table chinoise plus qu'étonnante.

D’autres belles histoires vous attendent dans le parcours de l’exposition. Vous avez encore plus d’un mois pour les découvrir. Pour plus d’information, cliquez ici.

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