D’après Denis Muzet, sociologue de l’institut Médiascopie, la crise économique et financière actuelle semble amplifier un mouvement qui a démarré avec le passage à l’euro. Vécue comme un choc mental et une perte de sens avant d’être économique, elle plonge les Français dans l’inquiétude. C’est une crise morale qui met en cause les excès et pose à chacun de nous des questions fondamentales sur notre rapport à l’argent, à la consommation, à l’environnement et à notre planète. Et pourtant, des notions positives sont associées à la crise. Quand on l’interroge, on constate que le consommateur considère que l’époque appelle de nouveaux comportements autour de nouvelles valeurs et de nouvelles manières d’être et de vivre ensemble.
L’alimentation est devenue un espace de refuge compensatoire dans un contexte de crise.
Dans le contexte économique et social de la crise, les notions positives de plaisir et de bien être replissent une fonction « consolatoire » : l’espace alimentaire est investi par les individus comme un refuge qui permet de compenser les frustrations et les inquiétudes. Cette fonction s’ancre dans un système de valeurs qui repose à la fois sur le soin de soi et de l’autre, ainsi que sur la tempérance.
L’élaboration culinaire est un moyen privilégié d’expression de l’attention de l’autre. Le «fait-maison » est ainsi particulièrement mis en valeur en réaction à une crise qui est aussi morale. La tempérance est une valeur montante aux yeux des consommateurs. Sobriété et mesure sont les points d’orgue d’une aspiration à consommer avec justesse et décence. Cela a pour effet :
- de conduire vers des circuits de distribution à taille humaine
- de susciter des arbitrages valorisant la qualité, signe de respect de soi plutôt que la quantité des produits.
Un consommateur qui se fait tacticien.
A l’heure où la question du profit des entreprises est placée au cœur des polémiques, il existe une réaction de défiance à l’encontre des grands acteurs du secteur agro-alimentaire. Les consommateurs ont le sentiment d’être toujours floués, à un moment ou à un autre, dans la chaîne de producteurs et distributeurs. Cette défiance n’est pas restée lettre morte : les consommateurs la traduisent en actes et en se faisant tacticien. L’acte d’achat et la préparation culinaire sont investi comme lieux de stratégie, qui se traduit par :
- une « chasse » au meilleur prix (comparaison, multiplication des circuits de distribution…)
- un recours à des tactiques culinaires (choix d’ingrédients moins onéreux, sauce pour mettre en valeur les produits…)
Si le consommateur ruse en remplaçant certains produits par d’autres, moins onéreux, des foyers de résistance se font jour. On refuse par principe de se priver de certains aliments jugés comme fondamentaux comme
- Les viandes, même si les prix incitent à se rebattre sur les morceaux les moins onéreux.
- Les produits laitiers, et particulièrement le lait pour enfants et les adolescents, restent un pilier de l’alimentation quotidienne.
La consommation des fruits et des légumes dépend, quant à elle, clairement des catégories socioprofessionnelles. S’ils restent des incontournables valorisés par les individus de CSP moyenne et supérieure, la restriction se porte sur eux pour les CSP les plus modestes.
Le réinvestissement du SENS dans l’espace de consommation alimentaire.
En réaction à la crise qui a fait voler en éclats le sens des choses et la morale, on assiste à la constitution d’un désir de consommation signifiante : l’espace de consommation alimentaire est désormais investi par les individus comme un espace de possibles, d’actions sur le monde, dans une volonté d’entreprise sur le réel. La consommation alimentaire est envisagée, non plus seulement comme la satisfaction d’un désir égotique, mais également comme la possibilité d’expression de choix idéologiques et d’actions sur le cours des choses.
L’acte d’achat se valorise parce qu’il prend un sens sociétal, dans la perspective d’une consommation solidaire et durable, autour des notions d’équité, de responsabilité et de respect. L’appétence pour l’ordre « naturel » des choses se fait jour. L’acte d’achat se pare désormais de préoccupations solidaires (solidarité avec le petit commerce, achat direct aux petits producteurs…) et environnementales (respect du cycle des saisons, intérêt pour les modes d’élevage et de production en cohérence avec la « nature ».
Dans la veine d’une consommation signifiante, on se doit de souligner la très forte appétence pour les produits biologiques. Les individus sont de plus en plus prêts à mettre le prix pour des produits qui répondent à leurs préoccupations en matière de santé et d’environnement.
Les préoccupations d’ordre écologiques et solidaires forment le terreau d’une consommation durable, avec en toile de fond la notion de bénéfice, à la fois sociétal et environnementale. Les consommateurs sont preneurs de plus de pédagogie sur ce plan. Ils ont en effet, soif d’un savoir :
- afin de tenir en main les clés de leur mode de consommation : qui produit ? par quel mode ? quelles en sont les conséquences et les bénéfices ? pour qui ?
- de ne plus être simplement des cibles (marketing, d’achat..) mais les partenaires des grands tenants du monde agro-alimentaire, en tant que coresponsables d’un avenir social et environnementale commun.
* Texte issu du dossier de presse.
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