Cette magnifique exposition au musée quai Branly
me donne le vertige devant tant de beauté et de perfection sur les arts de la
table chinoise. A part la vaisselle en bronze qui datent d’environ 1700-221
avant JC, comment ces poteries rouges et noires du néolithique, ou ces
porcelaines si délicates, si fragiles, arrivent jusqu’à nous intacts, épargnés
du ravage du temps ? Comme l’indique le sous-titre de l’exposition, cette vaisselle
en poterie néolithique, bientôt métamorphosée en bronze sous les trois
premières dynasties royales (2e et 1er millénaires avant notre ère), convertie
en laque (à partir du 3e siècle av. J.-C.), puis en vaisselle d’or et d’argent
sur les tables des palais des Tang (618-907) avant que ne triomphe
définitivement la délicate porcelaine sous les Song (960-1278), nous évoque l’art
de « Cuisiner
et de manger en Chine ». Il faut avoir une imagination débordante
pour se projeter du contenu, nécessairement raffiné, de cette vaisselle. Six
recettes exposés dans le parcours du l’exposition nous y aident :
Fondue de faisan Zhigeng. Cette
recette est inventée par Pengzu, père de la cuisine chinoise, et destiné au
souverain Yao (vers 3000 avant JC). Il s’agit d’un faisan braisé dans une
marmite en terre cuite, dans un bouillon de porc, de gingembre et de ciboule. Après
sa cuisson, il est entièrement désossé, remis dans son bouillon. Il est ensuite
enrichi de millet, de sel, de vin de céréale, et de baies de goji. Au moment du
service, il est assaisonné avec quelques gouttes d’huile de graines de thé.
Patte d’ours, très apprécié par le
roi Zhou (vers 1105-1045 avant JC) de la dynastie Shang. Il s’agit d’une patte
d’ours enduite de miel, avec une première cuisson à l’eau pour une pré-cuisson.
Puis une deuxième cuisson au bouillon de poule avec du gingembre et du vin de
céréale. A travers cette recette, on découvre aussi l’art du faisandage. La
patte d’ours ne rend toutes ses qualités gastronomiques qu’après avoir rancie
une à deux années.
Chien braisé dans un bouillon de tortue
de la dynastie des Han occidentaux (206 avant JC- 220 après JC), très apprécié
de l’empereur Gaozu. Cette recette aiguise particulièrement l’imagination des
visiteurs. Les viandes de chien et de tortue sont mijotées dans un bouillon à
base de sel, de sucre, de vin de céréales, d’anis étoilé, de poivre de Sichuan,
de ciboule, de gingembre. Elles subissent une seconde cuisson à la vapeur. Les
viandes sont désossées et effilochées avant d’être servies avec de l’huile de
sésame. Cette technique de mijotage est encore en vigueur actuellement dans la
cuisine chinoise, mais appliquée à la viande de porc et de bœuf.
Oie farcie dans l’agneau de la
dynastie des Tang (618-907) et très appréciée par l’impératrice Wu Zetian 武则天. Femme
d'humble extraction, l'impératrice Wu Zetian arrive au sommet par le charme, la
ruse et le crime. À la cour de Chang'an (l'actuelle Xi'an), elle assume le
pouvoir suprême d'une main de fer pendant un demi-siècle, de 655 à 705, d'abord
dans l'ombre de son mari puis de son fils, et enfin en son nom propre. Cette
recette est d’une complexité certaine. L’oie est farcie avec un mélange de riz
gluant, enrichi de morceaux de viande de porc avec une marinade composée de
sucre, de sel, de sauce de soja, de vin de céréale, de vinaigre, de poivre de
Sichuan, de poivre et de peau de mandarine séchée. Ces mêmes oies farcies et
bridées sont enfermées dans le ventre d’un agneau, pour être rôtis durant 4 à 5
heures. Au moment du service, seules les oies farcies sont dégustées. L’agneau
rôti est jeté.
Bouillon de poisson Songsao, de la
dynastie des Song du sud (1127-1279), très apprécié par l’empereur Gaozong. Il
s’agit d’un poisson mandarin, levé en filet, sans arrêt, cuit dans un premier
temps 6 minutes à la vapeur avec de la ciboule, du gingembre, de vin de
céréales. La chair cuite est ensuite sauté avec du jambon, des pousses de
bambou, des champignons shiitake, assaisonnée avec de la sauce de soja, du
vinaigre, du sel. La sauce est liée avec la fécule de pomme de terre.
Dragon et Phénix sous le signe du bonheur,
de la dynastie des Qing (1644-1911) issus de l’un des banquets impériaux
mandchou que j’évoque dans mon livre « A la table de l’empereur de Chine » aux éditions Philippe
Picquier . Il s’agit d’une recette à base de salicoques que je vous laisse
découvrir dans le parcours de l’exposition.
Une chose est sûre, les principes d’assaisonnements,
les techniques de découpe et de cuisson évoquées dans ces six recettes sont
toujours appliquées de nos jours.
Sur la manière de consommer les
mets, c’est sous les Tang, que les chinois délaissent le mode de consommation
assis sur les nattes, devant les plateaux individuels pour s’asseoir autour d’un
table garnie de vaisselle et de mets présentés de manière esthétique. Comme
pour la Renaissance
en France, une vaisselle d’apparat entre en scène, avec des pièces d’orfèvreries
très travaillées, fort luxueux. Seules les élites pouvaient se le permettre.
Sur l’usage des baguettes, une invention chinoise, même si elles étaient
utilisées déjà en cuisine sous les Shang, elles passaient à table que sous la
dynastie des Han, à partir du IIème siècle avant JC avec l’apparition de la
technique de la friture. En effet, manger avec les doigts n’était plus aussi
commode, car les mets devenaient gras ! Les alcools de céréales étaient
largement consommés durant les banquets, dès la dynastie des Zhou (1045-221
avant JC).
La verseuse en Yi en bronze de la dynastie des Zhou ne vous
rappelle-t-elle pas la forme de notre saucière ?
Vous découvrirez aussi
peut être le premier grill du monde,
qui date de la dynastie de Han occidentaux (206 avant JC, 9 après JC). La bonne
société Han aimait savourer des grillades lors de dégustations d’alcool. Avec
cette grille rectangulaire dotée de rebords, on faisait griller les côtelettes
ou des brochettes. Une grille intérieure et une ouverture à bord ondulé sur le
côté permettent de retirer les cendres ! Il y a une modernité dans la forme et le design de cet art de la table chinoise plus qu'étonnante.
D’autres belles histoires vous
attendent dans le parcours de l’exposition. Vous avez encore plus d’un mois
pour les découvrir. Pour plus d’information, cliquez
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